Qui défend les masses en Hayti ?
Par Le Novateur Haiti
Le professeur Alain Ntonfo (2008) qui a longtemps étudié l’importance et l’influence de l’école dans l’évolution des peuples et des civilisations aboutit à cette conclusion : « Et parce que l’école est le lieu par excellence de transmission de l’héritage d’un peuple, ce fut une école où les quelques privilégiés qui y avaient accès étaient nourris de littérature, d’histoire, de géographie de l’ancienne métropole, une école d’où était évacué tout ce qui pouvait se rapporter aux réalités haytiennes et aux origines africaines des 95% de la population de la République ».
Chez nous, nombreuses sont les cultures et civilisations qui nous inspirent et façonnent notre identité : Culture et civilisation françaises chez les soi-disant élites haytiennes mais africaines et indiennes dans la paysannerie, la mère-patrie, Hayti, tant bien que mal, et malgré le despotisme militaire ou l’aristocratisme prétentieux, le mépris de la liberté et de la vie humaine qu’animaient les politiciens et les affairistes de la Métropole, il y avait une certaine régionalisation économique laquelle permettait un certain partage national des richesses. Hayti a été sauvagement américanisée.
À partir de l’intervention militaire de 1915, l’occupant centralise l’économie laquelle précipita le déclin des régions. « Sous la pression de l’USAID, le régime macoute a ouvert les portes à une prolifération d’ONG étrangères et a orienté la production d’Hayti vers les exportations plutôt que la production alimentaire locale » dénonce France François (2018). En conséquence, rappelle Rémy Bastien, « le niveau de vieilles familles (paysannes) passe de l’état d’aisance à celui de misère ».
Depuis, on assiste à la multiplication des bidonvilles et la construction des masses en provenance de la paysannerie qui nourrissait toute la République. Mais se demande-t-on perplexe qui pense aux masses ? Et qui les défend?
Hormis ces Gracques haytiens : le libérateur Jean-Jacques Dessalines qui prôna une politique de justice sociale, d’ailleurs l’un des grands axes de l’Idéal Dessalinien ; le bâtisseur Henri Christophe qui institua un programme d’instruction publique favorable aux masses qui croupissaient dans la misère et l’ignorance crasse ; le pacificateur Alexandre Sabés Pétion qui distribuait des terres aux employés de l’administration publique et aux paysans exploités par l’oligarchie et corvéables à merci ; l’histoire retient le nom du docteur François Duvalier et celui du père Jean Bertrand Aristide qui ont posé la problématique des masses au 20e siècle, mais sans succès. François Duvalier, dictateur ou/et tyran comprenait et posait une telle problématique en déclarant : « Prêcher la démocratie dans un océan de misères, de souffrances physiques et morales peut évidemment plaire aux peuples riches et à leur gouvernement, mais n’arrive à convaincre aucun homme qui n’a pas encore pu satisfaire les nécessités premières de sa nourriture, de son logement, de son habillement, et de l’éducation de ses enfants ».
Duvalier, lui-même, avait lancé la nation contre l’État mais pourtant, ses propos, rappelle Jacques Foucand, un proche, furent décevants : « Nous avons pris le pouvoir pour enrichir nos amis et ruiner nos ennemis ». Les mulâtres avec raison furent ses ennemis et ses amis-levantins les grands gagnants manipulant l’économie et la grande victime, les masses.
Quant au président Jean Bertrand Aristide, connu comme le prêtre des bidonvilles, il comptait sur les milliards de dollars de la restitution et de la réparation de la double dette de l’indépendance qu’il exigeait de la France colonialiste pour réhabiliter les masses prises en otage par l’État haytien prédateur qui a permis leur exploitation par les élites économiques mulâtres et levantins.
M. Aristide, comme Perrette de La Fontaine dans un rêve devenu réalité et [a épilogué en ces mots] comme si la valeur réclamée a été déjà restituée bâtit des châteaux en Espagne : « Que de belles écoles, de belles universités, de beaux hôpitaux, allons-nous bâtir pour nos enfants ! Que de nourriture y aura-t-il en abondance ! » En réponse, il a été kidnappé et exilé le 29 février 2004 par le Core Group.
L’avocat Serge H. Moise reconnait que : « L’insécurité, la corruption et l’impunité qui ont détérioré notre digne haytianité devront disparaitre et en pleine célérité afin d’accéder à une véritable prospérité ». Cette opinion est partagée par le docteur Jean Fils-Aimé mais qui exagère lorsqu’il parle du hold-up des avoirs par les affairistes et exige les masses à mettre le feu partout ?
« Quand une population n’a jamais accès à la richesse, fulmine-t-il, il faut mettre le feu dans les banques et partout. 86% des gens ne travaillent pas. Le profit des banques vient de la spéculation et 75% des échanges. 5-6% de la clientèle ont accès au crédit et vous connaissez la couleur de leur peau ». Et, George Orwell a l’ultime courage de reconnaitre que : « Il n’est pas possible pour un individu conscient de vivre dans une société telle que la nôtre sans vouloir le changer ».
Le changement doit être une rupture totale avec le statu quo – le système d’apartheid économique et politique monté de toutes pièces par les nations malveillantes et dirigé par des chevaux de Troie de Washington, Ottawa et Paris vise à étouffer les masses et à handicaper le développement de la mère-patrie, Hayti. Cet état de fait requiert un dirigeant serviteur qui aime son pays et veut le bien-être de son peuple – les masses piétinés, humiliées et exploitées, en quête de survie – et qui ne peut pas être une girouette mais un homme de la rupture radicale et surtout un blancophobe.
Avec une équipe dynamique et honnête dotée de patriotes convaincus, de compétences avérées et surtout d’éthique qui accepteront un salaire minable et peu de privilèges, austérité oblige, ces bâtisseurs trouveront l’ultime courage de construire une meilleure Hayti pour toutes et pour tous mais surtout à la hauteur de leur histoire, de leur culture et de leur spiritualité.
Edito#426, Le Novateur, 28 janvier 2023
Vu par Francisque Jean-Charles à 19 janvier 2023 à 14:45

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